La Turquie du Nord-Est
Le visa iranien reste à ce jour l’un des plus difficiles à obtenir, la chose étant même impossible pour l’impudent globe-trotter qui s’essaierait à gratter à la porte d’une ambassade, quelle qu’elle soit, ou d’un poste frontière terrestre. Impossible, sauf ! au consulat de Trabzon, qui (allez savoir ?) n’a pas dû recevoir les dernières recommandations de Téhéran par La Poste, et ce depuis une demi douzaine d’années. Ce faisant, c’est sans doute le lieu de la byzantine Trébizonde qui accueille le plus de touristes… mais je m’abstiendrai de vous faire rêver à la description des murs ternes de bureaux administratifs quelconques.
Parce qu’on a mieux à se mettre sous la dent. En cheminant vers ce port antique, votre route vous mènera tout d’abord à Hattusa, la capitale Hittite, labellisée Unesco de nos jours. L’amateur de vieux cailloux qui sommeille en chacun de nous trépignera à l’idée de parcourir les ruines d’une civilisation qui traitait d’égale à égale avec le grand Ramsès II. Peine perdue de ce côté-ci, si les Hittites maniaient le sabre et l’arc avec habileté, ils étaient moins doués avec un marteau et une truelle ; résultat, il n’y plus grand chose qui dépasse le mètre cinquante de hauteur sur le site. Ces p’tits gars n’étaient pas totalement gauches non plus et l’étendue imposante des fondations de certains bâtiments laisse entrevoir la grandeur de celle qu’on surnommait “La Cité aux 100 Temples”. A quelques kilomètres de là, à Yazilikaya, se trouve d’ailleurs un temple où les antichambres étaient des galeries rocheuses naturelles, et dont les icônes en bas-reliefs ont donc miraculeusement traversé ces derniers 33 siècles pour laisser un ultime témoignage artistique.
C’est pas Karnak quand même. Mais le détour par Hattusa reste une expérience des plus agréables, d’abord parce que pour un site Unesco, on peut pas dire que les foules s’y précipitent. Et secundo, la ballade d’une dizaine de bornes vous laisse amplement le temps de rêvasser à ce que fut cette civilisation, tout en profitant de paysages grandioses et joliment illuminés, les urbanistes Hittites ayant décidé de se caler confortablement sur une colline haut-perchée.
Redescendre à Trabzon offre tout un monde de contraste. Finit la montagne, voici la Mer Noire. Les températures sont sensiblement plus douces. Trabzon est un grand port moderne, où l’influence russe se fait ressentir. Les marins se ruent dans les bordels de la ville. De l’Histoire, celle d’une cité qui devint capitale d’un petit Empire, après le sac de Constantinople par la IVème Croisade, puis qui se paya le luxe de résister aux Ottomans jusque 8 ans après qu’ils aient pris possession d’Istanbul, il ne reste plus grand chose… la jolie Aya Sofya locale, quelques mosquées, un bazar et ses caravansérails…
Non, il faut s’aventurer au dehors pour apprécier le joyau archéologique du coin : le monastère de Sumela. Au terme d’une ascension harassante, qui délivre de jolis panoramas, une ultime volée de marche s’accroche désespérément le long des flancs abrupts de cet à-pic rocheux… pour redescendre soudainement : nichées dans un renfoncement sous le sommet, les bâtisses séculaires offrent un tableau étonnant de calme dans cet environnement naturel automnal majestueux. Et c’est là que l’on découvre la chapelle troglodyte : un petit chef d’œuvre de fresques murales finement appliquées sur ses murs intérieur et extérieur, depuis le IXème siècle, qui ont survécu aux dégradations…
On n’attend guère dans le petit consulat d’Iran. Mais ce couple d’heures semblent être cinq minutes lorsque, avec un peu d’imagination, on s’amuse à projeter sur les murs immaculés d’une salle d’attente les images chatoyantes du patrimoine turc…
Il est vrai qu’il est étrange qu’il y ait peu de monde qui visite le site… L’Empire Hittite fut un des plus grands empires mésopotamiens, pourtant, il est un peu tombé dans l’oubli : on évoque souvent les empires sumériens, akkadiens, babyloniens, assyriens, mais les hittites (et les hourrites aussi d’ailleurs) sont des peuples presque inconnus pour beaucoup !
Rêvasser dans un site vieux d’une trentaine de siècle est à mon avis une chose inoubliable :)
Arf, malheureusement, la richesse de l’offre touristique turque couplée aux faibles reliques qu’abrite le site desservent considérablement Hattusa. C’est dommage pour les Hittites, mais c’est un régal pour les voyageurs esseulés et imaginatifs !