Erbil la ressuscitée
Erbil est la “capitale” de la Région Autonome du Kurdistan en Irak, sa plus grande agglomération, et abrite le Parlement Kurde.
Ce qui frappe en premier, bien sûr, ce sont les murs de l’imposante citadelle au cœur de la ville. Ce village fortifié se dispute le titre honorifique du Lieu Habité Depuis le Plus Longtemps par l’Homme sans Discontinuité avec, entre autre, Alep et Damas. Son histoire récente est plus tragique puisque lors de la dernière Guerre du Golfe, elle accueillit des flots de réfugiés, qui voyaient dans ce Kurdistan déjà libéré un lieu sûr. Trop, pour les petites maisons de briques proches de l’effondrement, ils furent donc expulsé avec moult remous par l’armée peshmerga fin 2006. C’est dans cet instant qu’est maintenant figée cette ville fantôme. Pour en goûter pleinement l’essence, il faut sauter les barrières “keep out’” qui bordent l’unique rue accessible, et aller explorer les recoins et les escaliers croulants des bâtiments enchevêtrés, qui débouchent parfois sur des terrasses inondées des rayons obliques du soleil mourant, et qui délivrent leurs panoramas de cours carrées cernées de bâtiments bas, retapés à la va-vite. En louvoyant entre des sentinelles et des patrouilles de militaires nonchalantes, on franchit des portes anodines, et qui cachent pourtant des bâtisses bourgeoises désertées monumentales et poignantes, recelant de magnifiques ornementations au gré des patios sertis de fontaines, des salons enchâssés de niches décorées et des traverses aux charpentes de bois travaillées. Des lieux parfaits pour s’imaginer, un temps, explorateur. En attendant que l’Unesco, déjà à l’œuvre, ne redonne à la citadelle sa splendeur passé.
Pour sûr, la préservation du patrimoine est une idée nouvelle sous ces latitudes. Mais ce qui frappe, à Erbil, après des décennies de guerre contre l’Iran, contre Saddam, puis de guerre civile, c’est le renouveau. Les chantiers tout d’abord, avec d’immenses grues surplombant le centre-ville. Les “Mall” immenses, flambant neuf, avec hypermarchés, boutiques de luxe et de fringues. Le luxuriant parc Martyr Sami Abdul-Rahman, construit sur l’emplacement de la base du 5ème Corps de l’armée de Saddam. Le parvis de la citadelle, où fleurissent les fontaines. Les décos de Noël. La capitale est de loin la plus animée des villes kurdes.
Rencontre avec les étudiants en français de l’Université d’Erbil. Trop heureux d’avoir un interlocuteur francophone sous la main, ils m’invitent à séjourner quelques nuits à la Résidence Universitaire, d’abord chez Kawan et Ajar, puis chez Jonro et Hawbir. De passage dans les locaux de la Faculté, on m’invite à participer à un cours ; les questions fusent, dans un français plutôt propre, et faisant étalage d’un riche vocabulaire. Il faut dire que les enseignants ont séjourné en France, et l’une de leurs professeurs, Cécile, est française. Elle m’invite à découvrir en compagnie d’autres gaulois la discothèque américaine. L’American Compound est une enclave “bunkerisée” de la ville, il faut montrer patte blanche pour rentrer. A l’intérieur, une boîte de nuit irréelle, qui évoque plus la salle des fêtes d’Egliseneuve-Près-Billom un soir de Bal des Conscrits (pour les anthropologues familiers avec la géographie auvergnate), à l’exception près que nombre de la quarantaine de convives ont un physique de pompiers. Pas mal de ressortissants bossent dans la sécurité, mais pas tous, quelques VIE versés dans l’aide au développement ponctuent l’assistance, et il y a même un nombre certain d’occidentales à Erbil. Ambiance bonne enfant autour de la cible de fléchettes ou la piscine asséchée pour l’hiver : les tensions sont nettement moindre au Kurdistan que dans le reste de l’Irak.
Retour à la résidence universitaire. Le décor est spartiate, mais l’accueil chaleureux et authentique. La nuit venue, un dizaine d’autres étudiants envahissent la chambrée pour assouvir leur curiosité sur l’Europe, et nos modes de vie. Religion, culture, droits de l’homme, normes sociales, immigration, et bien d’autres sujets sont passés au crible, mes dextres interprètes en profite pour parfaire leur langage. Bien des questions tournent autour de la relation aux femmes, elles couchent ? Ce point suinte la frustration. Le Kurdistan est l’une des destinations où la gente féminine est la plus inaccessible, et où elle a le moins de liberté. L’excision est toujours une pratique commune. L’Université est l’un des rares endroits où les jeunes des deux sexes sont réunis, mais même ici, le contrôle social est trop fort. Dans les couloirs, les grappes d’élèves unisexe ne s’adressent que rarement la parole. Autre sujet important, la politique. Malgré leur autonomie, symbolisé par une assemblée élue, ces étudiants se sentent écrasés sous le poids d’un carcan féodal. L’organisation clanique est toujours de mise au sein de leurs représentants, la corruption omniprésente, et le cadre légal, symbolique. Hélas, économiquement, la situation s’en ressent…
…et dans cette ville renaissante et dynamique, les écueils d’un traditionalisme rampant poussent ces jeunes éduqués à porter leurs regards sur un autre horizon. Un horizon lointain. L’Europe.
Bravo Doudou, c’est passionnant ton périple! on pense à toi ! bonne fin d’année là bas …
moultes moultes bisousousousosuspsusmllkm
Annie et Gérard
Merci les grenoblois :), des pensées pour vous zaussi en cette période de fêtes !
Sympa le périple. L’Irak devait être un pays magnifique avant la guerre. Toujours heureux d’en découvrir les villes.