Lalish : à la découverte des Yezidis
Mes premiers pas en Irak m’amenèrent rapidement à croiser des kurdes “yezidis”. Dans un anglais approximatif, on m’expliqua qu’ils n’étaient ni chrétiens, ni musulmans, mais bien kurdes, sans pouvoir m’en apprendre beaucoup plus. Bien décidé à savoir ce qu’il en était, je décidais donc le temps d’une journée de mettre le cap sur Lalish, ville dont ils seraient originaires.
Première embûche, comment s’y rendre ? Tentons le bus : direction le garaj de Dohuk, où un chauffeur tout sourire hoche du chef au nom de Lalish. Joie. Une heure d’attente plus tard, il me largue 500 malheureux mètres plus loin devant un bâtiment bas affichant “Lalish Cultural Center” au fronton. Dé-joie. Mais au moins ces gus là devraient me renseigner, entrons.
Pas de bus pour Lalish. On se propose de me négocier un taxi à 40$, ce qui me fait renoncer à mon entreprise : 40$, c’est plus de deux jours de budget de voyage, tout frais compris. Bref conciliabule chez mes hôtes : “ok bonhomme, pour toi on régale, bouge pas que je t’appelle un taxi de mes amis”. Le Centre a pour vocation de faire connaître la culture yezidi, et un occidental en goguette qui s’y pointe sans crier gare, c’est le jackpot. En attendant mon chauffeur, j’entreprends donc d’en apprendre un peu plus sur les bougres, principalement pour m’éviter une inénarrable noyade sous le tsunami de thé dispensé par mes attentionnés comparses.
Et au bout d’une heure, j’y vois plus clair.
Il apparaît qu’en fait le Yézidisme est une religion (ou une secte selon l’angle) pré-zoroastrienne d’origine indo-aryenne ayant par la suite incorporé des éléments de judaïsme, christianisme et islamisme.
Confus ? En gros cela donne une croyance monothéiste avec 7 archanges très proche d’un statut divin, le premier desquels tomba en disgrâce (le Diable ?) puis fut réintégré à ce Panthéon. Ils ne se reconnaissent pas de Prophètes, sont issus d’Adam, et non d’Eve, se font baptiser, prient 5 fois par jour, ont deux jours saints par semaine, mangent un casher à eux, entretiennent un système de castes et croient en la réincarnation transcendantale. Ils seraient 500.000 au monde selon la police, 1.200.000 selon les manifestants, et, pas de pot pour vous, n’acceptent pas les conversions.
Mon chauffeur de taxi, Dakhil, a ce visage rond qui associe harmonieusement une bonhommie manifeste à une joie de vivre indéniable. La région autonome du Kurdistan Irakien, si ce n’est pas encore la Suisse Romande au niveau des conditions de sécurité, jouit d’une fragile stabilité, ses habitants y prospèrent à l’abri des violences que connaissent les Arabes Irakiens voisins. Et bénissent largement le libérateur américain. Dakhil me questionne assidûment, épuisant méthodiquement toutes ses maigres ressources en langue anglaise. Puis, “You like Shakira ?”.
Image improbable d’un taxi fonçant à toute berzingue dans les rues de Dohuk, vitres baissées, cigarettes et lunettes noires, 50Cents craché de toute la puissance de son autoradio…
Du temps pour compulser l’imposante brochure du Lalish Center. Quelques pages d’anglais, écrites en gros, pour des centaines de photos grand format et arbitrairement légendées du moindre sous-comité de cambrousse ressemblant plus à un album d’anniversaire du début des années 80 : typique. Pas de conversion possible disais-je : on naît yezidis, on meurt yezidis. Et l’on s’est particulièrement appliqué sur ce dernier point, semble-t-il. Ce qu’il reste de l’histoire de cette communauté, ce sont quelques notes en marge des archives des grands Califes du coin : “13 mai : massacré 1261 yezidis, rasé 2 villages”. Leurs propres annales ont été détruites avec le systématisme effrayant que l’on réserve aux persécutés de longue date, une tradition que même Saddam fera perdurer. Il faut dire que les bonshommes ont tout l’attirail pour générer de la fatwa à tour de bras : kurdes, adorateurs du Diable, idolâtres, nombreux et indociles. Une sorte de cocktail gauchers-roux-sorcières-juifs sauce orientale, montez les bûchers. Mêmes les autres confessions kurdes ont préféré leur fumet à celui des Fils d’Abraham !
Voilà l’épicentre de cette haine ancestrale, Lalish est tout à la fois La Mecque, la Jérusalem et la Bénarès des yezidis. Les lieux sont loin d’être monumentaux, c’est un village blotti à l’entrée d’un vallon boisé. Couvert d’une végétation aussi rebelles que ses habitants, qui se refuse à jaunir sous les assauts de l’automne. La pierre froide cueille à nu la plante des pieds des pèlerins : toute la ville est sacré. Les jeunes filles ne portent pas le voile et gloussent dans la cour du Grand Temple. Le Saint des Saints est une basilique de sobriété, décorations pauvres sur murs gris. Il faut dire qu’au cours des siècles l’institution a reçu la visite de nombre d’ayatollahs profanateurs… Les autres édifices suivent la même mode, quelques chaumières en terrasses, une poignée de mausolées, un baptistère, de petits temples… Il est interdit de poser le pied sur les pas de porte. Les lieux sont parcourus d’un souffle calme et frais qui bruisse dans la végétation environnante au soleil couchant. Un havre de paix.
Depuis 1991 et l’autonomie qu’ont acquis les kurdes par les armes, les yezidis tentent de se réconcilier avec les leur, vivent en meilleure entente, et ont acquis plus de droits. Ils conservent leurs traditions. Celles sur le mariage par exemple : c’est qu’ils sont pointilleux sur le mariage. On ne se marie qu’avec un autre membre de sa caste, enfin de sa sous-catégorie de caste en vérité. Dommage pour Doa Khalil Aswad. 17 ans en 2007, amoureuse d’un sunnite, elle fut lapidée par les siens. Histoire de garder une trace pour les longues soirées d’hiver, la scène se retrouva sur Youtube (vive les téléphones portables) ; et une joyeuseté en appelant une autre, les représailles ne se firent pas attendre. 23 yezidis furent sommés de descendre d’un bus et abattus sans coup férir. Puis ce fut un attentat suicide dans un village yezidis qui fit près de 500 victimes.
Pour sûr, il y a des bonnes volontés dans chacun des camp, qui cohabitent actuellement.
Mais les plaies de l’Histoire ne sont pas prêtes à se refermer.
Plus d’infos sur ezidi.fr
Je ne connaissais pas vraiment. Pour les irakiens, les kurdes étaient tous des barbares païens ! Intéressant. Sont ils un peu joyeux ces braves gens ?
ezidi.fr pour un large public d’utilisateurs français
Oui, un site intéressant pour démystifier quelque peu cette religion/communauté souvent taxée d’obscure, parfois à raison. Comportement justifié, commun aux cultures faisant l’objet de quelques siècles de persécution.
La graphie française elle-même de leur patronyme varie selon les sources. Pour information, la prononciation locale est « izidi ».
Enfin, les informations erronées ou approximatives pullulant sur Internet (cet article y participant, apparemment, malgré mes précautions), je ne peux que conseiller de compulser cette intéressante ressource.