Ankara, ville d’Europe
Ankara n’est certainement pas la ville turque que l’on vous recommande pour son intérêt touristique. Pour les amateurs toutefois, la capitale turque est dotée de musées de très bonne facture, sans compter le mausolée d’Atatürk. Pour le reste, on repassera. Si la ville existe depuis l’empire Hittite, soit quelques millénaires avant notre ère, il n’y a pas de sites historiques d’un grand intérêt. Forte de seulement 30 000 résidents au début du 20ème siècle, l’héritière politique d’Istanbul a depuis lors connue une logique explosion de population ; résultat, la conurbation urbaine actuelle est moderne et sans grande âme.
Pourtant il serait inexact de croire que la métropole anatolienne doit être classée dans la liste des lieux “A éviter”, l’expérience est même assez enrichissante. Ce qui nous est donné à voir, à Ankara, c’est peut-être ? la Turquie de demain. Un tableau que l’on pourrait sans doute dépeindre à Istanbul, si les beautés de la ville ne poussaient pas (et on les comprend) la majorité des voyageurs à se cloîtrer dans Sultanahmet, ce quartier voué corps et âme à l’industrie touristique. Dans la cité kémaliste, les activités sont essentiellement estudiantines, économiques et diplomatiques.
Conséquence, si les tarifs y sont un peu chers, il y fait tout de même bon vivre. Restaurants et bars abondent aux abords de la Tunali et de Kizilay. Au Rastafari, concert reggae-ska des plus sympathiques. Sur les grandes artères, les enseignes des Decathlon et Mc Do succèdent aux Carrefour… on est vraiment dans une ville occidentale. L’économie tourne à plein régime même si elle s’appuie outrageusement sur le crédit : ici, on fait encore confiance aux banques. Il faut gravir les coteaux d’Ulus, le quartier populaire, pour voir quelques femmes en foulard et des commerces plus traditionnels. Mais la majorité de la ville est tournée vers l’Europe.
Une Europe qui continue à leur tourner le dos et à les rejeter, à leur grand dam. Car si la capitale incarne potentiellement l’avenir, on n’en oublie pas moins que dans le reste du pays on est plus circonspect. Bon point, la Turquie doit à Atatürk un héritage laïc et démocratique certain : les femmes ont par exemple acquis le droit de vote bien avant les françaises. Mais la population rurale ne s’identifie pas forcément aux espoirs ankariotes*, et les partis politiques traditionalistes, plus portés sur la question religieuse, ne cessent de gagner du terrain. Succès bonifiés par les refus de Bruxelles.
Par chez nous on ne dépeint pas assez souvent l’image d’un pays carrefour qui fait le grand écart entre deux continents, entre deux cultures (on pourrait plutôt parler de quatre grandes cultures d’ailleurs). Sans doute parce que nos politiques ont tout intérêt à classer la Turquie dans le camp “des autres”, des méchants, des musulmans, pour brosser dans le sens du poil une opinion publique réac, bornée et inculte. C’est peut-être son formidable potentiel touristique qui fera découvrir aux populations occidentales cette nation si unique et particulière. Des voyageurs en tout genre qui feraient la peau aux idées reçues lors du repas de famille…
C’est peut-être pour ça qu’il faudrait y venir.
Et fissa.
Parce qu’à Ankara, on a soif d’Europe.
* par ailleurs et je l’accorde, si s’européaniser, c’est voir partout fleurir les logos de nos belles multinationales, et importer Diam’s, on peut grandement s’interroger sur la pertinence l’exportation de notre modèle social. Autre débat, mais débat intéressant.