De Delhi à Goa : cap au sud
Après quelques semaines de récupération et de retrouvailles suite à mon incarcération iranienne, j’ai donc repris la route par un vol direct pour l’Inde, New Delhi.
De réputation, l’Inde du nord et ses grandes villes sont des destinations plutôt “difficiles”. Non pas que ce soit très dangereux, ou que les indiens vous soient hostiles : les indiens sont comme toujours plutôt adorables. Mais ici c’est le cœur battant du pays. Agglomérations surchargées, foule perpétuelle, cacophonie incessante… L’exode rural et ses ribambelles de sans-abris faméliques y frappe plus durement qu’ailleurs : ici on croise l’extrême pauvreté au quotidien. Pas une sinécure en guise d’introduction à ce pays donc, d’autant que je n’étais plus vraiment en jambes. J’étais décidé à rallier le sud au plus vite, apparemment relativement plus calme, en m’autorisant quelques étapes choisies. Avec moins de 90 jours pour découvrir le sous-continent, pour cause d’expiration de visa, il me fallait faire des choix… Autres incidences de ce marathon : être contraint à courir de lieu en lieu, et m’interdire les escapades chez l’habitant dans un coin reculé qui font tout le sel de la rencontre : Damn!
Les défauts attribués à cette Inde septentrionale se cristallisent à Delhi. La capitale n’est pas une ville particulièrement charmante, même si on y ressent par intermittence le dynamisme et la modernité des grandes métropoles de ce monde. Et la vieille ville recèle quelques jolis restes, dont le hautement symbolique Red Fort. Les indiens attendirent durant de longues années de lutte pour l’indépendance le jour où leur drapeau flotteraient sur ces murs. Juste en face trône la Jama Masjid, la plus grande mosquée du pays. Les deux bâtisses impressionnent effectivement par leurs dimensions, pas par leurs finitions. Au pied de la mosquée, un vaste bazar fait de bric et de broc dispense ses couleurs, ses odeurs et ses bruits. C’est aussi le moment de découvrir les us locaux, et de s’essayer à manger son thali (préparation de riz locale, le fast food indien) avec les doigts : on prend vite le pli.
Fuyant la capitale étouffante, mais aussi un nid d’arnaqueurs touristiques en tous genres, je jette l’ancre à Jaipur, pour avoir un aperçu du Rajasthan. La ville est “moins” bondée, mais vaut mieux pas être agoraphobe pour autant. Le Rajasthan est une destination fort courue chez mes confrères touristes et voyageurs ; proche de Delhi, il permet en une petite boucle passant par le Taj Mahal non loin d’avoir un chouette aperçu de l’Inde. Cet état (NB : l’Inde est une fédération), plus pauvre que la moyenne, et longtemps écarté de par les bisbilles fréquentes avec le Pakistan qui le jouxte des circuits touristiques, est aujourd’hui très populaire car abritant le Fort de Jodhpur, la Venise indienne d’Udaipur, ou les temples en bordure de lac de Pushkar. Jaipur, la “Ville Rose”, abrita elle un temps le Maharaja rajahsthani.
Cette dynastie laissa un riche héritage à la cité. Leur palace, tout d’abord, une enfilade de cours éclairées ornée d’halls en belvédère joliment décorés. Sous ses murs, le Jantar Mantar était l’observatoire astronomique royal. Des instruments hétéroclites et étranges s’y amassent : cadrans solaires, dont un de plus de 27m de haut, demies-sphères graduées en pochoir, traqueurs d’éclipses, de constellations, compas de cartographie stellaire,… Témoins d’un prestigieux passé scientifique, puisque ces constructions étranges et démesurées remontent à 1728. L’Hawa Mahal (ou “Palais des Vents”), enfin, le joyau de cette vieille ville, est un bâtiment totalement original dans sa conception : c’est une façade. Sur cinq étages, certes, et finement travaillée, avec de petites alcôves en encorbellement percées de centaines de fenêtres minuscules, surmontées de vitraux multicolores. Le bâtiment offrait aux dames de la famille royale un divertissement bienvenu, car il surplombe l’angle de deux artères fréquentées du bazar ; elles épiaient de leur Tour d’Ivoire la vie sociale et spirituelle de leurs sujets. La téloche du 18ème, en quelque sorte.
Un seul programme, mais pas inintéressant. Le bazar alentour est d’une taille et d’une richesse à faire pâlir leurs alter-egos arabes, pourtant pas en reste en matière de commerce. Plus étalé, moins varié et moins concentré, peut-être, mais assez impressionnant. Autre caractéristique, la faune urbaine. Les chats persans ont totalement disparus, ici, c’est un royaume canin, des bâtards efflanqués et abrutis qui se bouffent les uns les autres, se battent à la nuit tombée, et coursent le touriste qui s’aventure dans leur territoire. Très désagréable. Les bovidés de toute sorte se promènent paisiblement et en toute impunité dans les ruelles encombrées et les avenues embouteillées. Pourris-gâtés… Une vache passe la tête dans un restaurant, et avale d’un coup de langue l’assiette de riz qu’on lui tend. Même mimique 10 mètres plus loin, le restaurateur préfère la chasser que de perdre un biryani, elle décidé donc de déféquer séance tenante sur son perron. Au détour des carrefours, on tombe sur des moutons, des chèvres, des chevaux, et des cochons sauvages fouillent les poubelles. Les singes, chapardeurs, galopent sur les corniches. On en trouve presque partout, en Inde, mais rarement autant qu’au Monkey Temple, un sanctuaire au pied duquel s’étendent la vallée et la ville, blottie le long d’une rivière et de collines fortifiées. La clameur étouffée de 3 millions d’autochtone monte doucement de la cité qui s’éteint, tandis que le rose s’étiole en teintes sombres sous la lumière déclinante du soleil couchant…
Rallier Bombay prend une demi journée de train. Mais le train indien est juste une bénédiction, vu les distances à parcourir. Evidemment, c’est un peu vétuste, parfois crade, on comprend jamais comment ça fonctionne pour réserver et c’est pas très rapide ; mais passablement confortable, et pas très cher, si vous avez le courage d’affronter les wagons 2nd Class. La plupart des occidentaux préfèrent la classe supérieure, qui garanti une couchette ou une place assise, et comme c’est assez bon marché, on y rencontre fréquemment des locaux intéressants… Mais ce serait rater tout le plaisir de la seconde classe. Plaisir parfois relatif, tant ces wagons peuvent être bondés, et on est alors contraint de rester de longues heures debout, ou à s’essayer à dormir sur 41cm², voire sur un porte-bagage croulant (à deux mètres du sol). Mais en général, ça vit, ça chante, ça discute, ça rigole, autour de groupes improvisés ou de joueurs de cartes, autour d’un repas ou d’un téléphone portable qui crache péniblement le tube du moment. Pas beaucoup d’anglophones, mais on est assaillit de questions, le maximum qu’on parvient nous extirper. Des voyages épuisants mais toujours enrichissants…
Mumbai, comme la ville a été renommée, est une mégalopole de près de 25 millions d’habitants. La partie historique (et digne d’intérêt) se concentre à la pointe de la péninsule, sauf si l’envie vous prend d’aller vadrouiller à Bollywood. La capitale économique de pays doit beaucoup à la Compagnie des Indes, dont elle accueillit le siège. Quelques bâtiments grandiloquents honorent toujours ses rues, comme des églises, l’Université, le Palais de Justice, la Tour de L’Horloge. Les grandes pierres de taille sombre, les bâtisses anguleuses, massives, élevées, aux lourdes charpentes, semblent juste terriblement déplacés sous les tropiques et leurs cocotiers. Démonstration de puissance coloniale, par l’architecture. Le Musée du Prince de Galles, et la gare de Victoria Terminal sont eux particulièrement estomaquant de détails et de raffinements. La grande arche de la Porte des Indes veille sur la jetée. D’ici, on gagne par bateau Elephanta Island, pour y découvrir les temples troglodytes classés au Patrimoine Mondial. Pas la 8ème merveille du monde, assurément, même si la finesse des statues du triptyque sacré Shiva-Bramah-Vishnou est incroyable à l’aune de leurs 1500 ans.
De la ville des parsis à celle des portugais : direction Goa.
Goa. Ca sonne comme un gros spot à touriste que j’aime pas, mais ça pourrait me permettre de me la couler douce quelques jours discrètement sans que personne n’y trouve à redire. Bah déjà, déception Goa n’est pas une ville (et vous le saviez sans doute mais pas moi). Goa c’est un état, un tout petit certes, mais un état. La vieille ville de Goa – Velha Goa dans le texte –, qui était plus importante que Lisbonne ou Londres en l’an de grâce 1500, a simplement disparu de la carte. Choléra et Inquisition. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un grand espace ouvert, au cœur duquel seuls les églises, cathédrales et couvents témoignent de ce glorieux passé. La relique la plus notable est la Basilica de Bom Jesus, à prononcer avec l’accent portugais. Des pèlerins du monde entier viennent s’y agenouiller devant le tombeau de Saint François Xavier, qui abrite selon la légende sa dépouille… incorruptible. C’est qu’elle aurait mis 250 ans à commencer à se décomposer, et le corps du missionnaire globe-trotter est aujourd’hui encore montré au public tous les 10 ans pour rappeler ce miracle.
Mais bien peu sont ceux à prendre sur leur temps de bronzette pour aller visiter le site estampillé Unesco du coin. La plage de sables fins infinie, c’est le principal attrait de Goa. Alors bien sûr, l’état étant assez vaste, on trouve de tout. Les plages sont plus ou moins “segmentées” par catégories de voyageurs : Vagator pour les teuffeurs, Baga pour les bus Fram, Arambol pour les vieux hippies. Je tournicote autour de cette dernière, et “vieux hippies” n’est peut-être pas le terme qui convient, puisque les touristes viennent de divers horizons, et pour divers but, mais c’est sans doute ici que l’esprit des 60’s a été le mieux préservé. Yoga, médecine ayurvédique, massages et stages de bouddhisme ou de méditation couvrent les écriteaux qui fleurissent accrochés aux devantures des restaurants, ou des étals de vendeurs de fringues et d’artisanat “locaux” pas très locaux. Les bandes de jeunes israéliens ou russes croisent les vieux beatniks débonnaires en scooter, vêtus à moitié de fanfreluches indiennes (?) et à moitié de… rien du tout parce qu’il fait chaud quand même, et qu’ici on est pas vraiment sous la pression des autochtones les plus traditionnalistes. Non loin, les morceaux de viande huilés de crème solaire grillent sur le sable au gré des ressacs de la Mer d’Oman. Nombreux sont ceux qui sont perchés dès potron-minet.
Drôle de mélange des genres. Les indiens qu’on rencontre ici sont voués à l’industrie touristique, ou alors eux-mêmes en vacances. Mais dans le lot de glandeurs occidentaux, on repère très vite quelques comparses sympathiques avec qui disserter, rire un coup et boire une bière. Alors le temps s’écoule rapidement à Goa, et on traîne plus que de raison. On échappe brièvement à la fureur et à l’agitation des grandes villes indiennes, qui pompent toute votre énergie.
Et force est de constater que j’ai déjà commencé à fréquenter nombre de routards, au détriment des locaux. Pourtant, les indiens sont tout aussi sympathiques et avenants que les habitants du Moyen-Orient. Mais l’industrie touristique est quand même déjà inscrite profondément dans les mœurs locaux… Déjà, l’accueil est moins chaleureux, sincère, et authentique, que quand on est le seul blanc à 50km à la ronde, ok. Mais les sollicitations sont continuelles, et à ce stade on me voit souvent comme un gros paquet de dollars ambulant. Les anglophones sont nombreux, et je ne fais pas l’effort d’apprendre un mot d’hindi, de toute façon peu usité au sud. Les voyageurs sont avenants, et on a tôt fait de pousser la rencontre de la guesthouse au resto : c’est un autre voyage. Il faut aussi dire que je me suis contraint à suivre un itinéraire plutôt touristique, citadin, et fréquenté. Je perds alors clairement trop de temps dans le lascif piège goan…
Un temps pourtant précieux… Car ce que j’ignore encore, c’est que “le pire” de l’Inde est derrière moi…
…et il en reste tant à découvrir.
Cap au sud.
Eh Oui, tu aurais vraiment dû me faire signe avant d’aller dans l’Etat de Goa! La ville (gros village) de Verna Salcete, un peu plus à l’est des plages est charmante, loin des touristes qui engendrent leur lot de misères et ruinent bien des familles locales (drogue, prostitution…) : les maisons de style Portugais sont tout simplement magnifiques,les Indiens y ont encore une vie « authentique », la « bouffe » y est l’une des meilleures en Inde et la nature très belle… Tu aurais dû me faire signe avant, dommage…
Primo : j’aurais du prendre de tes news pour quasiment tout ce trip indien (> séance de flagellation du jour). L’occasion de rappeler aux gens l’excellent boulot du Centre Français pour la Protection de l’Enfance (CFPE), trop brièvement exposé sur ce support lors de mon passage au Liban : http://www.f0ll0w-me.fr/les-soeurs-a-l-oeuvre/trip ; + allez jeter un oeil au site du CFPE, http://www.cfpe.asso.fr
D’autre part, je souhaite bien du courage aux habitants de Verna Salcete, voire de l’Inde en général, pour préserver leur mode de vie face au tourisme galopant. Sans nier la nécessité d’une meilleure répartition des richesses internationales/nationales – mais c’est un autre, long, débat – et d’un « développement intelligent » et réfléchi. Ah ah. il me faudrait quasiment ouvrir un autre blog pour débattre de telles problématiques.
Merci pour ces infos qui, en tous les cas et je l’espère, serviront à d’hypothétiques autres voyageurs qui viendraient à (se perdre?) passer en ces pages :) !!!