Hébron. Ville assiégée
Mes pérégrinations en Terre Sainte ne pouvaient pas esquiver une escapade dans les Territoires Palestiniens Occupés (une appellation parmi tant d’autres. Toutes très connotées).
Hébron est plus que Ramallah, Jéricho ou Naplouse une ville qui porte en elle les stigmates du conflit.
Le Mur. C’est le Premier Cercle d’un enfer que Dante n’aurait pas renié. Haut, inhumain, hérissé de barbelés. Cette balafre grisâtre semble cacher aux yeux du monde les reclus qui vivent dans cette prison à ciel ouvert. Enfermés dans quelques kilomètres carrés.
Isla n’a pas 20 ans et il sera mon guide dans Hébron. Il fait partie de ces quelques familles qui ont pu conserver leurs maisons dans la colonie israélienne de la ville, et peut donc me montrer les deux côtés. A la rentrée, il reprendra son job. Il emmène les enfants de la petite école au checkpoint, et inversement. L’établissement est dans la colonie.
L’idée a surgit après la Guerre des Six Jours dans la tête d’un couple d’américains un peu plus fondus que leurs confrères. “Et si on allait s’installer en plein cœur des territoires palestiniens ?”. Deux-trois réquisitions aidant, les fondus et leurs copains s’installaient au cœur de la vieille ville d’Hébron.
Quelques Intifadas plus tard, la ville était hérissée de points de passages militaires, de clôtures, de remparts, de barrières. De caméras. De bunkers. De miradors. 600 colons. 250 checkpoints. 5000 soldats. La situation s’est vraiment dégradée en 1994. Goldstein, médecin le jour, timbré de son état. Au premier soir du Ramadan, il entre dans la mosquée de la ville, qui se trouve être aussi une synagogue, un lieu saint pour les trois religions puisqu’y reposent pour l’Eternité Adam et Eve, Abraham et Isaac, Jacob et son épouse. Se sont-ils retournés dans leur Sommeil au son de la fusillade, qui tua 29 fidèles ?
Les soldats sont intervenus. Ils ont cru Goldstein victime d’une agression par les musulmans, l’ont sorti de là. Les colons lui ont construit un monument. La ville a vécu un mois sous couvre feu.
Depuis la seconde Intifada, la tension est montée d’un cran. A l’aune de ce millénaire, donc, les soldats ont dégagé un périmètre de sécurité afin de voir venir toute agression potentielle. Concrètement, les occupants de la Vieille Ville ont été prié d’aller voir ailleurs. Le quartier central, commerçant et vivant, est devenu fantôme. Aujourd’hui, les échoppes sont tolérées dans l’artère principale, bondée. Mais empruntez la moindre rue adjacente, et un silence de plomb s’abat sur vous. Derrière les volets fermés, les maisons vides ont parfois été reconverties en postes d’observation par Tsahal. En bordure, d’épars impacts de balles, bâtiments éventrés, rappellent les heures les plus sombres.
Si on lève les yeux, on tombe de nouveau sur des grillages. Ceux-là, ce sont les musulmans qui les ont érigés, pour se protéger eux aussi. Des ordures. Jetées des étages des bâtiments autrefois habités par des familles musulmanes. Une bouteille en plastique. Des déchets ménagers. Un sèche cheveux. Une chaise ? Oui, une chaise.
Isla me fait passer un checkpoint, pour entrer dans la colonie. Grillage, baraquement et détecteur de métaux. Les rues autrefois commerçantes sont vides, les fenêtres condamnées, les volets de fer des boutiques systématiquement soudés. Une centaine de mètres plus loin, il me fait bifurquer par un sentier qui passe par les hauteurs. Si les résidents musulmans sont tolérés, la rue leur est interdite. On passe devant des maisons caillassées sur les murs desquelles le tag “Gaz the arabs” s’étale cyniquement en lettres noires.
Isla veut m’emmener à la mosquée/synagogue. Pour y accéder, il faudrait traverser la rue, mais c’est interdit. On contourne donc par le cimetière. Vue imprenable sur les tours d’observations érigées sur les collines alentours. Sur les toits de la ville, où les récupérateurs d’eau de pluie ont été méticuleusement mitraillés. A l’entrée de la bâtisse, des barrières font converger juifs et musulmans vers leurs accès respectifs. Depuis 1995, un mur sépare le saint lieu. Un de plus, un de moins…
On sent le discours de mon guide rôdé. Les mots “occupation”, “confiscation”, “interdiction” roulent sans cesse dans sa bouche. Pas un discours de haine. Un discours qui se voudrait objectif. Fine propagande déguisée en vérité. Mais le décor d’Hébron lui offre pléthore d’arguments.
Et alors que je filme les habitants d’Hébron… ils me disent « Thank you ».
Les deux communautés n’entrent jamais en contact l’une avec l’autre, tout au plus des échanges de regards belliqueux. Les soldats, jeunes conscrits, sont au centre de cette fracture. Je suis étonné tandis qu’Isla parle et rit avec eux. Ils savent pourtant parfaitement quelle version des faits va délivrer mon jeune guide. Plus loin, un soldat confesse qu’il aimerait voir émerger un état palestinien autonome. Malgré les strictes règles lui interdisant de confesser son opinion politique. Ils ont aussi de nombreuses rixes avec les colons.
On ne sait plus vraiment que penser alors que le bus s’éloigne d’Hébron. On se demande au juste ce qu’on était venu chercher ici. Et on ressent un profond dégout envers l’espèce humaine.
impressionnant …
Merci le Doud.
Fou et désespérant